Villa Amberg – Villa Louvigny I
Le 6 septembre 2018, la villa Louvigny au parc fut classée monument national. Certes, le passé historique comme vestige de l’ancienne forteresse a pesé dans cette classification, tout comme l’histoire du site associé à RTL, et évidement la qualité architecturale de son auditorium construit pour l’ancien orchestre symphonique de la station radio. La découverte, en 2014, du tableau laqué de Jean Dunand, artiste célèbre pour avoir décoré en 1939 le pavillon de la France à l’Exposition Internationale à New York, a sans doute contribué aussi à cette classification. Le passé de la villa Louvigny comme lieu de spectacles géré par Adolphe Amberg semble pourtant être tombé dans l’oubli.
Ouvrage fortifié du front de la plaine
Le fort Louvigny remonte aux travaux de renforcement des fortifications de Luxembourg opérés par les Espagnols dans les années 1671/73. Au XIXe siècle, le gouvernement militaire prussien avait agrandi le réduit et construit le Blockhaus en 1858/1859. Faisant partie des ouvrages militaires du front de la plaine, le fort Louvigny touchait à la promenade du général, ouverte au public moyennant une carte d’accès. Cette promenade fut à l’origine de l’aménagement du parc de la ville haute.
Le Traité de Londres du 11 mai 1867 allait déclarer l’Etat luxembourgeois comme politiquement neutre, ce qui induit que la garnison prussienne de la Confédération Germanique devait quitter la ville et que la forteresse devait être démantelée. En 1868 l’ingénieur Louis Fuchs dressait les plans d’urbanisation des quartiers à aménager au front de la plaine. Pendant ces discussions, l’Etat en tant qu’héritier exclusif des anciens domaines militaires allait d’abord louer à durée déterminée des casernes, dépôts, réduits et fossés à des entrepreneurs.
Le fort Louvigny devient « villa Amberg »
Ce fut ainsi que le réduit Louvigny passait en location au commerçant de gants et de parfums, Adolphe Amberg, un des pères des cafetiers luxembourgeois. En juillet 1868 celui-ci y organisait son premier concert public donné par le « Corps des Chasseurs luxembourgeois" dont le contingent venait d’être formé au mois de mai seulement de cette même année. A noter que pour ce concert de jeunes hommes, l’entrée était gratuitement accordée aux dames.
Les travaux de démolition de la forteresse avaient bien commencé, puisque l’accès pour le concert donné par la « Stadtkapelle Trier » pouvait déjà se faire à partir du Glacis. Sur base du plan Fuchs, l’Etat procédait en novembre 1868 à la vente du réduit Louvigny. Charles Mathias André, Conseiller à la Cour Supérieure de Justice et Joseph Simons ingénieur avaient acquis la propriété. Le site présente une enclave dans le parc et représentait un élément du concept d’aménagement d’un « système de villas » entourant l’ancienne ville haute. Un boulevard parallèle au futur boulevard Joseph II devait cerner la propriété vers l’ouest. L’accès par la promenade du parc était interdit. Le lot fut réservé à la construction d’une villa avec dépendances. La propriété devait être nivelée au bout de 9 mois. Le blockhaus avait été démoli en 1870. Un accident survenu après une fête à la « Villa Amberg » confirme qu’en août 1873, les fossés de 7 à 8 m de profondeur n’étaient pas encore remblayés. En 1876 seulement fut effectué le nivellement du grand chemin du parc devant la villa Louvigny. Le parc n’avait pas encore l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui.
Tingel-Tangel à la « villa Amberg »
Il est remarquable de noter l'esprit d'entrepreneuriat d'Amberg et de son successeur J.P. Klein au niveau de l'animation, mais également au niveau de la communication, comme les deux se servent de toutes les éditions de la presse qui existaient.
La grande salle à la « villa Amberg » servait à cette époque de salle de théâtre de boulevard, alors que le théâtre de la Ville (rue des Capucins) offrait le répertoire des grands classiques.
La grande salle à la « villa Amberg » servait à cette époque de salle de théâtre de boulevard, alors que le théâtre de la Ville (rue des Capucins) offrait le répertoire des grands classiques.
En 1871, au lendemain de la guerre franco-allemande, la représentation d’un orchestre rhénan invité par Amberg pour se produire en sa grande salle, nouvellement construite, avait frôlé l’incident diplomatique : l’ensemble musical en défilant par la Grand’ Rue jouait l’hymne patriotique allemand « Wacht am Rhein », geste déplacé dans un contexte de stricte observation de la neutralité politique. La salle à la « Villa Amberg » donnait lieu à des représentations de vaudevilles de Dicks autant que pour des revues données par des troupes venues du Casino de Paris. Des tombolas et des cours de danse faisaient partie des manifestations régulières données à la « Villa ».
En 1871, la Société des Arquebusieurs y avait élu son siège avant de s’établir au Val Sainte Croix. A l'occasion de la visite du Roi Grand-Duc Guillaume III de Luxembourg en juin 1872, la société y tenait une assemblée générale extraordinaire préparant son accueil. En 1874, Amberg organisait en sa salle de spectacles un concert de bienfaisance pour recueillir des fonds pour soigner les blessés républicains chassés d’Espagne au moment de la restauration de la monarchie.
Dans le but explicite d’attirer un public féminin, Amberg organisait des assauts d’armes, le sabre, la canne, le bâton et la boxe française assurant la variété au programme. Lors du passage d’une comète, le 26 juillet 1874, Amberg ouvrait ses portes à 23 heures et approvisionnait sa clientèle en „Bockwürste und Bockbier ». Les concerts de la Compagnie des Volontaires dirigés par le compositeur Gustav Kahnt (1848-1923) furent très appréciés. Ce fut l’occasion de déguster de succulentes bières Pilsen de Munich. Des prestidigitateurs de passage à Luxembourg se donnaient également en spectacle dans ce qui fut vanté comme la plus grande salle du Luxembourg. Le fait d’y avoir exposé en 1909 un aéroplane confirme l’idée de la surface de la salle.
La convention entre l’Etat et la Ville de 1875 sur la gestion sur la gestion du parc, permettait à la ville d’exploiter deux restaurant-limonadiers au parc. Amberg quittait les lieux en 1876 pour reprendre jusqu’en 1879 le Chalet Dallé comme « Villa Amberg am Bahnhof », situé à l’emplacement de l’Hôtel Alfa.
Il reprit la gestion de la Villa Louvigny jusqu’en 1884. A ce moment il allait ouvrir un nouveau café-théâtre au parc, cette fois-ci situé entre la statue de la Princesse Amélie et la Villa Vauban. Cet établissement devenait la proie des flammes en 1903. (Robert L. Philippart, lire la suite dans le prochain numéro)